dimanche 22 mars 2015

ANGLE DE RUES



ANGLE DE RUES




ANGLE DE RUES


  Qu'attendez-vous ?
  Et bien...
  Il y a un problème ?
  Je ne sais pas...
  Vous ne savez pas quoi ?
  Comment savoir ?
  Savoir quoi ?
  Laquelle choisir ?
  Je ne comprends pas.
  La rue. Comment savoir laquelle choisir ?
  Vous prenez celle que vous voulez.
  Oui. Mais comment savoir s'il vaut mieux prendre celle-ci ou celle-là ?
  C’est simple, vous prenez celle que vous préférez.
  Alors, d'accord.
  A tout à l'heure. Nous nous retrouvons où vous savez.
  Je ne sais pas pourquoi, mais vous me faites penser à quelqu'un... A bientôt.


  Et bien ? Encore un problème ?
  Je me demandais... comment savoir quelle est la rue que l'on préfère ?
  C'est simple. Celle qui vous plaît le plus. Où vous avez le plus de plaisir à marcher.
  Et comment savoir dans laquelle on a le plus de plaisir à marcher ?
  Il suffit d'avancer. Quand vous avancez, vous marchez, et quand vous marchez vous sentez si c'est agréable ou pas.
  D'accord. Mais…
  Mais ?...
  Pour avancer il faut choisir ?
  Tout à fait.
  Entre la rue de droite et la rue de gauche ?
  C'est aussi simple que cela.
  Je crois que le problème est là. Si je choisis cette rue, je ne choisis pas l'autre... et vice-versa.
  Et vice-versa.
  Supposons... simple supposition... supposons que je choisisse la rue de droite... c'est un exemple. Ou bien... supposons que je prenne celle de gauche. C'est toujours un exemple, d'accord ? Ou bien... pour faire plus simple.... supposons que je choisisse l'une de ces deux rues... ce n'est qu'un exemple, nous sommes bien d'accord ?
  Tout à fait.
  Et bien, supposons que je marche dans une de ces rues, celle de droite ou celle de gauche... simple supposition...
  Absolument.
  Une question se pose.
  Oui ?
  Où est passée l'autre rue ?
  L'autre rue ?
  Vous voyez bien ! Vous l'ignorez vous-même !
  Mais voyons, l'autre rue est toujours là, masquée par le pâté d'immeubles, mais toujours là.
  Masquée ? Qui vous dit qu'elle n'est pas rayée de la carte, avec ses maisons, ses habitants, ses animaux, son square ? Vous n'avez jamais entendu parler de disparitions mystérieuses ?
  Si les rues disparaissaient comme vous le dites, cela se saurait !
  Il n'y a qu'un moyen pour le vérifier !
  Ah ! Vous voyez ! Je commençais à m'inquiéter.
  Il suffit de marcher dans les deux rues à la fois.
  Très bonne idée. Laquelle choisissez-vous ? Je prendrai l'autre.
  Je vous en prie. Faites votre choix d'abord.
  Cela m'est égal. Laquelle préférez-vous ?
  Je me demande si vous ne me rappelez pas mon père ?...
  Votre père ?... Vous le voyez toujours ?
  Lui aussi me demandait ma préférence.
  A propos des rues ?
  Il n'a pas dû prendre la bonne. Plus aucune nouvelle. Disparu !...
  En tout cas, moi, je me décide. Je prends celle de droite. Vous prenez celle de gauche ?
  Vous êtes sûr ?
  Absolument !
  Supposons que je prenne celle de gauche, puisque vous me l'imposez. Comment saurai-je que la rue de droite existe encore ?
  Mais, parce que j'y serai !
  Vous, peut-être, mais pas moi !
  Et bien, dans ce cas, prenez celle de droite, si vous aimez mieux.
  Tout à fait comme mon père... Sauf que lui, me demandait plutôt qui j'aimais le mieux. Vous saisissez ?
  Pas vraiment.
  Lui ou ma mère...
  Ah ?... Quel rapport avec les rues ?
  Je l’ignore. Pour les rues je ne vois qu'un seul moyen ! Puis-je compter sur vous ?
  Je suis votre homme !
  Il nous faut marcher ensemble et en même temps dans les deux rues à la fois !
  Vous êtes sérieux ?
  Tout à fait !
  Vous avez un plan ?
  Je réfléchis...
  Je réfléchis aussi.
  D'autant que d'ici, nous avons les deux rues dans notre champ de vision.
  Absolument !  
  Que proposez-vous ?

  C'est vous qui avez téléphoné ?
  Oui, monsieur l'agent.
  Que se passe-t-il ?
  C'est cet homme. Il s'est arrêté à l'angle de ces deux rues. Cela fait un bon moment maintenant. Il ne bouge plus. Il parle tout seul et ne répond pas quand on s'adresse à lui...

Jacques KOSKAS

vendredi 27 février 2015

LE POINT



Le point

 
Il était apparu un matin dans le ciel grisâtre. Le livreur de journaux l’aperçut le premier, alors qu’il lançait son journal vers le balcon du maire. A peine le temps de faire le tour de la place, qu’un attroupement l’obligea à mettre pied à terre devant la pharmacie. Tous les regards convergeaient vers le ciel, braqués sur un point précis. Un point qui descendait lentement, sur la place, droit sur le bassin.

Après un temps d’étonnement compréhensible face à une situation aussi inhabituelle, le pharmacien, homme de science, s’avança d’un pas assuré, bientôt suivi par la foule qui s’agglutina autour de la pièce d’eau.

On prévint le maire qui accourut le visage encore marqué par un sommeil trop tôt et trop brusquement interrompu. D’abord il ne comprit pas ce qu’il vit. Puis il dut se rendre à l’évidence. Au-dessus du bassin, un superbe point d’interrogation au port majestueux et aux courbes élégantes, se tenait en équilibre sur l’eau, le pied posé sur une sphère chatoyante. A l’arrivée du maire, il inclina, avec une grâce exquise, son col de cygne en guise de respectueuse révérence.

 Comme sa charge le commandait, le maire prit une première décision qui ne fut pas sans conséquence sur la suite des événements. Interdiction absolue de mettre en marche le jet d’eau. On s’en doute, quelques esprits chagrins ne manquèrent pas de s’insurger contre cette décision arbitraire, prise en dehors de tout débat démocratique, rappelant que le jet d’eau jaillissant du bassin, qu’on avait voulu hexagonal, était le fleuron du village.

Toutefois, chacun reconnaissait que le point d’interrogation s’étant posé sur l’orifice du jet d’eau, il n’était guère envisageable de faire autrement.

 Quelques jours passèrent ainsi. Certains se risquèrent à se poser une ou deux questions sur l’étrange phénomène, mais reconnaissons qu’il s’agissait de marginaux peu intégrés et guère représentatifs de la communauté. La vie reprit son cours habituel. De son côté, le point d’interrogation toujours immobile au milieu du bassin semblait s’être figé et ne réagissait à aucune sollicitation. Les oiseaux s’en servaient à présent comme perchoir, polluant le bassin de leurs déjections.

Les mêmes esprits chagrins s’en émurent auprès du maire, qui après consultations nombreuses et variées, comme l’exigeait la procédure démocratique qu’on ne pourrait pas, cette fois, l’accuser de ne pas avoir respectée, prit une seconde décision, laquelle ajoutée à la première eut les lourdes conséquences que l’on va voir.

 Par arrêté dûment signé, ordre fut donné d’ouvrir le robinet remettant en fonction le jet d’eau sur lequel reposait l’honneur du village et, rappelons-le, le point d’interrogation qui sommeillait raide comme une statue. 
 
 Après de violents borborygmes relatant les luttes intestines que se livrèrent l’eau et l’air se disputant quelques centimètres cubes de tuyauteries, le jet d’eau jaillit victorieux, chassant les oiseaux et propulsant le point d’interrogation jusqu’au toit de la mairie où il s’accrocha in-extrémis à l’antenne de télévision, d’où il pendait à présent comme un vieux cintre déshabillé.
 Personne n’y prit garde, car il n’était pas dans les habitudes de se promener le nez en l’air. Sauf en cas de panne de télévision. Ce fut la première conséquence de la double décision du maire. 
 
 Sur l’immense écran plat installé dans la salle polyvalente, la diffusion du match capital retransmis depuis le stade national fut brusquement interrompue, au grand dam des téléspectateurs. A la place, sur une page qui semblait tirée d’un cahier d’écolier, des dizaines de points d’interrogation de toutes tailles et de toutes couleurs, apparurent, alignés en rangs serrés, frétillant comme des poissons.

On sortit, le nez en l’air évidemment, cherchant des yeux l’antenne de télévision.  Elle avait disparu, envahie par une masse grouillante de points d’interrogations qui inclinaient la tête cérémonieusement devant chaque nouvel arrivant.
 
 Le maire, dépêché en hâte, encore vêtu du maillot de l’équipe nationale, se gratta d’abord le menton, secoua la tête, se frotta le crâne, ouvrit la bouche et posa cette question, en apparence anodine : mais qu’est-ce qui se passe donc ? Question sans grande prétention, certes, mais question quand même, et, il faut bien l’avouer, cela n’entrait guère dans les habitudes de la population. Si les choses en étaient restées là, il est probable que rien de ce qui suivit ne serait arrivé. Mais, ce qu’on ne comprit pas, et l’affaire n’est pas résolue à ce jour, c’est la raison qui poussa le maire à réitérer sa question. Sous la même forme, sur le même ton interrogatif, suivi inévitablement d’une ponctuation en forme de point, vous l’avez deviné, d’interrogation.
 
 Ce fut comme une pluie de sauterelles. En beaucoup plus gracieux, et au ralenti. Les points d’interrogations s’élancèrent vers la foule rassemblée et se posèrent en douceur sur la tête de chaque habitant. Le contact sur le cuir chevelu provoqua un léger frisson semblable à une caresse. La résonance enveloppa le cerveau d’une douce chaleur qui fit fondre progressivement et sans douleur, les blocs de méfiance, les à-priori, les préjugés, les certitudes soi-disant inébranlables, les vérités solidement établies, les croyances invérifiables qui bouchaient depuis si longtemps les orifices de l’entendement, de la curiosité, du questionnement.
 
 Professeur Nimbus et fier de l'être, chacun arborait son point d’interrogation, fièrement dressé sur le sommet du crâne, tel un hameçon prêt à saisir la moindre parcelle de connaissance en circulation, à l’enrichir et à la transmettre.
 
 On ne sait qui le premier s’interrogea. Mais ce fut à la vitesse d’une épidémie une fois le virus libéré. Questions sur questions, tout fut remis en question. Quoi ? Qui ? Comment ? Pourquoi ? Où ? Toutes les formes interrogatives se disputaient le privilège de trouver la question essentielle. Encore fallait-il s’accorder sur l’essentiel. Aux mille questions qui fusaient par minute, aucune réponse n’était satisfaisante, aucune réponse n’était possible, car chaque question ouvrait sur mille autres questions, chacune proposant à son tour un fourmillement de questionnements. On s’interrogeait sur tout, sans limite, sans parti-pris. La curiosité se cultivait en véritable art de vivre. Des champs exploratoires entiers s’ouvraient chaque jour offrant des pistes inconnues. Telles des bulles de champagne, des milliards de neurones sans cesse renouvelés crépitaient dans les matières grises où des synapses innombrables n’en finissaient pas de se rejoindre dans des accouplements orgiaques.
 
 On allait de découverte en découverte. Dans tous les domaines. Le plus exploité fut celui des idées. Il ne se passait pas un jour sans qu’on découvre de nouvelles formes de pensée, de nouvelles pistes de réflexion. Cogiter, gamberger, imaginer, créer faisaient partie des droits et des devoirs du citoyen. Et tout le monde de s’émerveiller de cette capacité innée restée en friche si longtemps. Très rapidement certaines choses devinrent obsolètes, par exemple, la fonction de maire et l’antenne de télévision.

 L’euphorie était telle que personne ne les vit arriver. C’est la seule explication valable retenue aujourd’hui. Le premier à les apercevoir, alors qu’ils se massaient devant l’entrée du village, fut l’ancien maire qui s’interrogea, par habitude : mais, n’est-ce point là des points d’exclamation ? Affirmatif ! répondirent-ils en lui fracassant le crâne.

 Vêtus de noir, cagoulés, le corps métallique en forme de matraque, les points d'exclamation fondirent tels des oiseaux de proie sur tout ce qui pensait. Cognant sans répit, ils arrachèrent les points d’interrogation qu’ils écrasèrent sans pitié, vidant les esprits de toute question inutile. 

Depuis, chacun vaque à ses occupations, indifférent au point d’exclamation vissé sur sa tête et directement relié à la nouvelle antenne de télévision, elle-même reliée aux grandes oreilles des merveilleux nuages qui veillent et qui surveillent. On a nommé un nouveau maire. La vie se conjugue à l’impératif. Plus personne ne se pose de questions. L’ordre règne ! Point final ! 

Jacques KOSKAS 



lundi 16 février 2015

LA LIBERTE D'EXPRESSION AU REGARD DE LA PSYCHANALYSE

J’ai présenté ce texte en ouverture d’un débat sur la liberté d’expression auquel j’ai participé le 13 février à Toulon en compagnie de Philippe Granarolo et Michel Ferrandi, philosophes. 
Débat organisé par Fabienne Dalloz et Alexis Wiehe.

Selon la théorie psychanalytique, c’est dans l’enfance, en particulier entre 0 et 6 ans, que se forment les différentes structures mentales qui président au développement de l’individu et qui feront de nous ce que nous sommes.
Question : à quel moment du développement libidinal de l’enfant peut-on repérer le signe d’une expression personnelle libre, plus ou moins affranchie des influences parentales et dégagée du vouloir plaire à l’autre ?

La psychanalyse décrit ce processus à travers 3 stades : oral, anal, phallique.
Stade oral :
Il s’étale de la naissance jusqu’à l’âge de 1 an-1 an et demi.
A la naissance, toutes les fonctions assurant la survie du bébé sont automatiques, sauf l’alimentation. D’où le nom de stade oral. Le bébé se trouve dans une relation de dépendance totale aux autres, en particulier à sa mère.
Pendant cette période, l’enfant va faire l’expérience de l’agréable et du désagréable, du plaisir et du déplaisir. Il exprimera son ressenti de façon réflexe et automatique à travers son tonus musculaire. L’expression corporelle sera donc la première manifestation du vécu émotionnel de l’enfant.
Stade anal : entre 1 an-1 an ½ et 3 ans.
Autonomie de la marche, mais aussi autonomie sphinctérienne. Ce qu’on appelle l’apprentissage de la propreté. D’où le nom de stade anal. Autant la phase orale se traduit par la situation de dépendance de l’enfant à son entourage, autant la phase anale va se caractériser par la manifestation de l’autonomie.
En maîtrisant ses sphincters, l’enfant découvre son pouvoir sur le fonctionnement de ses intestins. Capacité de rétention et d’expulsion. Il quitte la passivité du stade oral. Il devient actif.
Du fait de cette maîtrise, l’enfant va se trouver confronté aux règles du vivre ensemble. A savoir, on fait ses besoins dans un lieu spécifique en tenant compte du fait que d’autres personnes l’utiliseront, etc.
Cette évolution physiologique va s’accompagner d’un autre bouleversement dans le rapport de l’enfant à lui-même et aux autres. En même temps qu’il acquiert le contrôle de ses sphincters, l’enfant accède à la faculté fondamentale de dire je et de dire non.
Par l’utilisation du je, l’enfant se reconnait comme sujet. Il va affirmer son moi, sa singularité, et par l’utilisation du non, l’enfant va affirmer sa différence. Il va exprimer son opposition, il va tester les limites, il va tenter de les transgresser, il va refuser de se soumettre aveuglément au désir de l’autre pour affirmer le sien propre. Ce nouveau mode de relation s’appuiera sur un sentiment de toute puissance donnant à l’enfant l’illusion que beaucoup de choses dépendent de lui.
Stade phallique : entre 3 et 6-7 ans,
Se caractérise par l’investissement des organes génitaux et la découverte de la différence des sexes. C’est l’âge des questions sur la sexualité des parents, la procréation, la grossesse, la naissance.
C’est aussi l’âge du complexe d’Œdipe. Organisation mentale structurée où se mêlent désir amoureux pour le parent du sexe opposé et hostilité à l’égard du rival du même sexe.
La confrontation à l’interdit de l’inceste, le renoncement à ses désirs incestueux, l’intégration de la loi (du père), permettront à l’enfant de résoudre le complexe œdipien et de s’ouvrir à la société, en acceptant de choisir, plus tard, un partenaire sexuel en dehors de la famille.

Dans chacun de ces stades on repérera un aspect positif et un aspect négatif :
Stade oral :
Positif : contact avec la bonne mère qui nourrit, enveloppe, réchauffe, apporte sécurité et bien-être ;
Négatif : contact avec la mauvaise mère : vécu de morcellement, frustration, souffrance.
Stade anal :
Positif : autonomie sphinctérienne, affirmation de soi, capacité de s’opposer à l’autre.
Négatif : sentiment de toute puissance, transgression des règles, agressivité pulsionnelle.
Stade phallique :
Positif : différenciation sexuelle, curiosité, acceptation de la loi, ouverture vers la société.
Négatif : désir incestueux, désir de meurtre, refus de reconnaître la loi et de s’intégrer à la société.

Où se situent les germes de la liberté d’expression ?
Au stade oral, l’enfant s’exprime avec son corps de manière automatique et réflexe. Il y a donc expression mais on ne peut pas parler de liberté. Il restera soumis à l’adulte et absorbera réellement et symboliquement toute nourriture venant de lui : nourriture alimentaire, spirituelle, fantasmatique. Il introjectera sans pouvoir faire le tri, les sentiments, les émotions, les pensées, les croyances de l’autre.
Au stade anal : en plus de l’expression corporelle spontanée, grâce à la maitrise sphinctérienne, à l’emploi du je et du non, l’enfant peut s’exprimer de façon volontaire à l’intérieur de règles établies. Si on respecte sa spontanéité, sans le contraindre à se soumettre à nos propres convictions, il pourra développer un esprit critique, s’autoriser à penser ses propres pensées, sans se sentir obligé de se conformer aux idées de ses parents, sans se sentir obligé de souscrire à leurs croyances.
Au stade phallique ; en plus de l’expression corporelle spontanée et de l’affirmation de soi, l’enfant va découvrir la différence sexuelle, il va expérimenter la réalité de la loi, bien loin de sa croyance magique et de ses fantasmes de toute puissance. Il va renoncer à ses désirs pulsionnels, accepter de s’éloigner du cocon familial et s’engager dans la société pour y trouver sa place et des partenaires autres que ses parents.  

Généralement c’est à l’âge de 6-7 ans que se clôt ce cheminement (qu’on appelle processus primaire). L’enfant entre alors dans la période de latence, (processus secondaire). Cette période est caractérisée par le passage à la pensée représentative et symbolique, permettant l’apprentissage de la lecture et de l’écriture et l’investissement de nouvelles connaissances. 

Ainsi, lorsque le développement de l’enfant se fait de manière positive, l’individu va naviguer librement entre ces trois stades qui sont présents et interactifs tout au long de notre vie. En ce qui concerne la liberté d’expression, il se sentira libre d’adhérer à un mode de pensée qui lui convient ou de le critiquer, voire de le refuser. Libre aussi d’avoir ses propres idées et de les proposer, même si elles sont différentes des enseignements qu’il a reçus. Et, en même temps il reconnaîtra ces mêmes droits aux autres.
Dans le cas contraire, s’il y a blocage ou fixation négative à l’un des stades, l’évolution de la personnalité sera entravée et le refus de la liberté d’expression pourrait en être la conséquence. 

Ainsi une fixation négative au stade oral pourrait se traduire de la manière suivante : j’ai reçu un enseignement. Je m’en suis nourri. Il n’en existe pas d’autre. Aucun enseignement ne vaut celui-là. C’est un peu comme si vous ne mangiez que de la purée, en entrée, en plat principal et en dessert, parce que vous avez appris et vous en êtes persuadé que seule la purée est bonne. Vous refusez donc toute autre nourriture. Et vous vous débattez avec énergie si on veut vous forcer à avaler autre chose. Symboliquement, vous resterez bloqué dans une relation de dépendance aux premières images parentales, sans parvenir à vous en affranchir.
Une fixation négative au stade anal, donnerait ceci : J’ai été nourri de cette idée, cette croyance, et je tiens à la garder pour moi. C’est mon trésor. Toute autre idée est inconcevable. Il n’y donc pas de place pour autre chose en moi. Donc pas de place pour la différence. Seule cette idée, cette croyance est vraie. Je me battrai pour que tout le monde la partage. J’emploierai la force pour que vous pensiez comme moi. Tous ceux qui refusent de croire et de se soumettre  à ma croyance sont mes ennemis et doivent être détruits.
La fixation négative au stade phallique se traduirait ainsi : Mise en acte de relations incestueuses, attouchements, viol, pédophilie. Mise à mort, réelle ou fantasmatique, des rivaux qui convoitent ce que je convoite ou qui possèdent ce que je convoite. 

En conclusion, je pense que l’évolution de la liberté d’expression sera fonction de l’évolution de l’enfant à l’intérieur des différents stades. Stades dont nous restons imprégnés toute notre vie, et auxquels nous revenons lors de périodes de régression.
Au cours du stade oral, l’expression de l’enfant se fait de façon réflexe sur le mode tonico-émotionnel.
Au cours du stade anal, cette expression est volontaire et se manifeste par le contrôle des sphincters, l’opposition et l’affirmation de soi.
Au cours du stade phallique, l’expression se fera à travers le désir, la rivalité et le rapport à la loi permettant la résolution du conflit œdipien.
Ainsi, une circulation fluide entre les différents stades de l’évolution de l’enfant, privilégiant leur aspect positif, met l’individu dans des conditions favorables pour s’exprimer librement, sans à priori ni préjugés, et pour accepter la libre expression de l’autre, dans le respect des règles de la société et de la loi.
A l’inverse, un blocage lors d’un des stades de l’évolution empêche l’individu de se délivrer des influences qui freinent son libre arbitre. Avec pour conséquence, le risque de verser dans l’intolérance et de recourir à la violence. 

Jacques KOSKAS