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Dans la langue primordiale,
Adam signifie : terre, homme, œuf,
rouge et sang.
Je suis votre père à tous.
Et aussi celui de mon épouse Eve que Dieu extirpa de mon flanc, pendant mon
sommeil, sans me demander mon autorisation. Privilège divin, certes, mais
manque absolu de civilité.
Beaucoup m’envient d’avoir
été le premier en toutes choses. Premier homme à contempler le ciel, la terre, la
mer, le soleil, la lune, les étoiles. Premier à découvrir les animaux et les
nommer : appeler un chat un chat en a fait gloser plus d’un. En revanche,
moustique pique bien là où il faut.
Premier aussi à avoir connu
une femme. Et du coup premier à transgresser l’interdit et premier à être puni.
Mais ça en valait la peine.
Et aussi, premier à être
père. Voilà où je voulais en venir.
Avec Eve, nous avons fait
des galipettes, en toute innocence. Un serpent de passage a bien tenté de nous
enseigner quelques figures, mais une fois jetés dans le monde par un dieu
excédé il a fallu tout inventer.
Notre première surprise fut
la transformation du ventre d’Eve. Un trop plein de pommes avons-nous pensé,
d’abord.
Au bout de neuf mois, surprise ! Un humain miniature
nous était livré sans le mode d’emploi. Plus tard, après avoir lu Freud, Dolto,
Klein, j’ai compris que s’il avait bénéficié d’une bonne éducation, Caïn
n’aurait pas tué Abel. Mais nous ignorions tous ce qu’était la mort, ni même
que celle-ci existait.
D’où ma question : Comment
élever un enfant sans avoir été, soi-même, un enfant ?
Je suis né par la grâce de
Dieu, pétri de sa boue divine, vivifié par son souffle. Certains exégètes ont
estimé, après de savants calculs, que je devais être âgé d’une quarantaine
d’années à ma naissance.
Vous rendez-vous compte de
tout ce qui a manqué à ma vie, pour en être vraiment une ?
Vous, vous avez été conçu
par un homme et une femme. Moi pas.
Vous avez vécu dans le
ventre de votre mère. Moi pas.
Vous avez entendu son cœur
battre, ses intestins gargouiller. Moi pas
Vous avez senti les saillies
de votre père et la confusion de votre mère. Moi pas.
Au bout de plusieurs mois,
vous vous êtes engagé dans un tunnel interminable. Moi pas.
Et puis, vous avez jailli
dans la lumière du jour. Moi pas.
J’avais déjà quarante ans à
ma naissance. Et ce n’est pas tout.
Vous avez tété les seins de
votre mère. Moi pas.
Vous vous êtes gorgé de son
lait chaud et sucré. Moi pas.
Vous avez été bercé dans ses
bras. Moi pas.
Vous vous êtes endormi au
son de sa voix. Moi pas.
J’avais quarante ans à ma naissance
et personne ne m’a jamais pris dans ses bras, personne ne m’a chanté de
berceuses.
VOUS TROUVEZ ҪA JUSTE ?
Je n’ai eu besoin ni
d’apprendre à marcher, ni à parler, ni à faire pipi et caca dans le pot, ni à
faire des lignes d’écriture, ni à chercher à comprendre pourquoi wazo s’écrit
oiseau, ni pourquoi les trois mousquetaires sont au nombre de quatre, ni
pourquoi la fin du monde se résume à un chagrin d’amour !
Dieu dans sa toute
puissance, ne m’a autorisé ni le plaisir de l’apprentissage ni celui de
l’acquisition de la connaissance.
J’avais quarante ans à ma
naissance et je savais déjà tout.
Y a-t-il plus grande injustice
que de refuser à quiconque le droit d’apprendre ?
Alors, j’ose te le dire,
Dieu tout puissant, maître de l’univers et du reste, je proteste avec toute
l’énergie dont je suis capable contre la manière dont tu t’es servi de moi, et je
t’adresse une requête que tu ne peux refuser, compte-tenu de ce dont tu m’as
privé.
Ma demande est simple. Pour
toi, cela équivaudra à un claquement de doigt. D’autant que tu l’as déjà fait.
Souviens-toi du déluge. Tu n’étais pas content des hommes. Hop, une petite pluie
bien lourde, un vent mauvais, une mer démontée, et la création rasée de la
surface de la terre. La survie de Noé et de ses bestiaux, c’était juste un coup
de pub pour que l’on continue à parler de toi.
Ce que je te demande, aujourd’hui,
c’est un vrai déluge. Sans survivants !
Et tu recommenceras tout. Tu
créeras un autre premier homme, à qui tu ne demanderas rien d’autre que de croire
en toi. Tu lui offriras une Eve, plus obéissante que la première et tu feras de
moi le premier enfant né d’un père et d’une mère.
Tu me dois bien ça,
non ?
Petite recommandation. Le
premier homme, ne l’appelle pas Adam. Regarde où en sont les humains, affairés
à faire couler le sang contenu dans son nom. Avec ton pouvoir infini, tu
trouveras bien un joli petit nom, porteur de paix.
Il te faudra juste un peu
d’imagination.
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