La Liste de Fannet
Jacques Koskas
Editions Vivaces (2015)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2015/12/21/laliste-de-fannet-5734414.html
C’est
avec plaisir que le lecteur retrouve le commandant de police Hippolyte
Mangin et son psychanalyste le docteur Noiraud dans La Liste de Fannet de Jacques Koskas. Identique à lui-même, affublé des mêmes tics (Il « triture
sa boucle d’oreille », « masse son crâne lisse », « Mangin se frotte le
crâne d’une main, l’autre triturant l’anneau pendant à son oreille »), Hippolyte Mangin n’a pas tellement changé depuis son enquête dans 18 rue du Parc (1). Il « est toujours glabre de la tête aux pieds », « son système pileux a (yant) grillé comme un arbre » suite
au départ d’Emma et de la petite Chloé. Après avoir passé une année
dans une clinique psychiatrique et tenté difficilement de se réinsérer
dans la vie sociale, les événements vont l’obliger à sortir de sa
tanière et à réintégrer son poste au commissariat.
En effet, une série de crimes se succèdent subitement : plusieurs
femmes d’une quarantaine d’années, de classes sociales différentes sont
tuées, puis « déshabillée (s), placée(s) en position foetale, coiffé (es) avec soin ». Mangin, secondé par « la lieutenante Marithé Lesourd », adepte d’anagrammes, « son sport favori » et caractérisée par ses « plus-ou-moins-cent-kilos-selon-les-jours », doit trouver le plus rapidement possible l’auteur de ces crimes.
Dans La Liste de Fannet, la distance entre le roman dit classique et le roman policier n’existe plus.
Nous sommes loin de la paralittérature manichéenne d’une société
scindée entre les bons et les méchants. Le roman de Jacques Koskas est
une œuvre littéraire exigeante malgré la simplicité de sa lecture.
L’écrivain brosse les portraits de ses personnages, dotés d’une dense
personnalité, à traits précis. La structure narrative polyphonique ;
avec les fragments du journal de Fannet, l’enregistrement du témoignage
de Momo, le professeur d’histoire qui a sombré dans la clochardisation
après son divorce, les pensées, les perceptions de Mangin, les
focalisations internes, l’alternance du présent et du passé ; permet
d’appréhender la réalité sibylline des êtres et de la société dans
laquelle ils évoluent et confronte le lecteur aux implicites, aux
non-dits. Les crimes renvoient chacun à ses interrogations intimes, à ses questionnements, à ses remises en question. Les personnages sont partagés entre l’horreur indicible devant une violence inimaginable et la tentative de compréhension. Déchiffrer
les messages du criminel favorise la confrontation de Mangin avec ses
propres souvenirs, son propre passé refoulé depuis de nombreuses années : « Mangin
songe à la conversation qu’il a eue avec Noiraud. Le souvenir inopiné
de sa sœur lui a fait l’effet d’un coup de massue. Par quel chemin
tortueux en est-il arrivé à la relier à Chloé ? ». Le passé de chacun révèle son présent comme l’indique le docteur Noiraud : « Questionnez votre enfance, votre présent y est écrit ». Derrière les crimes, la psychologie complexe des êtres humains surgit. Le docteur Noiraud, persona du narrateur,
les décrypte, les explique, explorant les méandres de la conscience et
de l’inconscient. Il illustre le problème de la somatisation à travers
le personnage de Mangin : « Chez Mangin, la pelade remplit son office : exhiber la douleur, refuser qu’on y touche et mettre le monde à distance », la « compulsion de répétition »
à travers Fannet. Le narrateur montre comment Mangin surmonte
progressivement ses traumatismes et accède enfin à la guérison : « Hyppolyte
Mangin effleure, du bout des doigts, la plaque rugueuse, apparue, cette
nuit, à la pointe du menton, à l’endroit précis où ses premiers poils
de barbe avaient poussé, à l’âge de… Il ne sait plus ».
Le roman de Jacques Koskas se fonde sur les apports des sciences humaines. La fiction littéraire dialogue avec la psychanalyse, la sociologie. L’intrigue subtilement menée, semée d’indices ingénieux, emporte le lecteur dans un suspens haletant parsemé de clins d’œil humoristiques, (« -Est-ce
que je mange quand même, parce que, pour moi, c’est l’heure, si je ne
veux pas faire une hypo./ -Hippo ? Lesourd ! Pas de familiarités, je
vous prie ! - Hypoglycémie, monsieur, hypoglycémie » ou « Il serait capable de bazarder son attirail sur son lit d’hôpital, et de nous rejoindre à cheval sur sa bouteille d’oxygène ! »), d’émotions avec la référence à la Shoah (« le
16 juillet 1942, jour de la rafle du vel-d’hiv. J’avais à peine quatre
ans. La concierge m’avait caché dans une poubelle. Au bout d’un moment,
le couvercle s’est soulevé. Le visage d’un policier s’est penché vers
moi. Puis le couvercle s’est refermé… »), de poésie, ( « Dame
Déprime, qui jouait l’endormie, ouvre un œil. Avec la souplesse d’un
serpent hypnotisant sa proie, elle commence à déployer sa mélancolie
sombre, effaçant toute couleur au monde »).
Jacques Koskas renouvelle le genre du roman policier en brouillant savamment les pistes et en superposant diverses intrigues fortes en émotions, en humour noir et en tensions.
( 1) Du même auteur :
Koskas Jacques
http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2014/10/29/18-rue-du-parc.html